Diplomatie et machiavélisme


jeudi 17 décembre 2009, 10h-12h, pôle Cathédrale, salle 117


Jean-Vincent Holeindre (EHESS): "De la ruse de guerre à l'art politique"


De la guerre à la politique, il n’y a qu’un pas, nous dit Machiavel, dans la mesure où les qualités humaines qui s’illustrent dans une bataille ou dans une escarmouche (audace, sang-froid, astuce, inventivité…) sont essentielles pour bien gouverner. L’apprentissage de l’art de la guerre prépare le Prince à combattre l’adversité et les revers de fortune. En temps de paix, Machiavel recommande ainsi la pratique de la chasse, qui « aguerrit le corps », « endurcit à la peine » et enseigne la géographie (Le Prince, chap. XIV). Il conseille également au Prince d’étudier les exploits militaires des « grands capitaines » comme César, Alexandre ou Scipion. Dans l’histoire, les généraux de talent sont souvent des politiques avisés. Toutefois, la force militaire en tant que telle ne permet pas de voir si le stratège est intelligent. La ruse, en revanche, est un bon signe. Car pour qu’une ruse réussisse, le stratège doit faire travailler sa tête davantage que ses muscles. Loin d’être déshonorante, la ruse est le plus court chemin vers la victoire et vers la gloire. Pour autant, elle ne doit pas être confondue avec l’intelligence du stratège, qu’on peut définir comme la faculté de choisir entre la ruse et la force, selon les situations.

À la guerre comme en politique, la ruse, comme la cruauté, doit donc être employée avec parcimonie, car de tels moyens peuvent toujours se retourner contre ceux qui les emploient. Il n’y a donc pas chez Machiavel de confusion entre guerre et politique. Le prince doit être prêt à faire la guerre, mais il ne doit pas en être avide car il court alors le risque de tout perdre.


Matthieu Gellard (Paris IV): "De l'incident comme instrument diplomatique"

Au moment de la première guerre de Religion, les relations franco-anglaises, déjà difficiles, se dégradent très fortement. A l'automne 1562, l'Angleterre, sous couvert d'aider les huguenots, envoie plusieurs milliers d'hommes sur le continent et occupe deux ports normands. Toutefois, les clauses du traité du Cateau-Cambrésis concernant Calais obligeant les deux protagonistes à la plus grande prudence, la guerre n’est pas déclarée et les relations diplomatiques sont maintenues. Un étrange équilibre s’établit, aucun des deux acteurs n’ayant, pendant un temps, intérêt à en venir au conflit armé. La reconstitution et l’analyse de l’activité des deux résidents anglais en France, Sir Nicholas Throckmorton et son successeur Sir Thomas Smith, et des péripéties vécues par eux, constituent un angle d’approche intéressant pour mieux comprendre les enjeux de l’affrontement entre les deux couronnes. Relativement méconnu, le détail de ces deux ambassades fait en particulier apparaître de nombreux incidents diplomatiques. Et justement, parce qu’il n’est pas accidentel, mais au contraire le fruit d’une volonté politique, l’incident diplomatique est un révélateur du rapport de force international. D’un accroc, sensément fortuit, dans le bon déroulement de la vie diplomatique, les choix politiques font ou ne font pas un « incident » ; les ambassadeurs ou les gouvernements choisissent en effet d’instrumentaliser l’événement initial ou tentent au contraire d’en atténuer autant que possible les conséquences, en fonction de leurs intérêts intérieurs et extérieurs. L’enjeu commun des incidents présentés ici se situe au niveau de la responsabilité de l’affrontement militaire que chacun des acteurs tente de faire endosser à l’autre, cette responsabilité signifiant une perte de droit de Calais."

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