Arts et artistes dans l'Allemagne séparée



vendredi 29 janvier 2010, 16h-18h, pôle Cathédrale, salle 124


Jérôme Bazin (UPJV): "Egalité et distances sociales dans la peinture réaliste socialiste"


Constance Fritzsch (Bauhaus, Weimar): "La fonction de l'artiste à l'ouest et à l'est dans l'Allemagne séparée"


Un résumé de ces deux interventions sera très rapidement disponible.

Diplomatie et machiavélisme


jeudi 17 décembre 2009, 10h-12h, pôle Cathédrale, salle 117


Jean-Vincent Holeindre (EHESS): "De la ruse de guerre à l'art politique"


De la guerre à la politique, il n’y a qu’un pas, nous dit Machiavel, dans la mesure où les qualités humaines qui s’illustrent dans une bataille ou dans une escarmouche (audace, sang-froid, astuce, inventivité…) sont essentielles pour bien gouverner. L’apprentissage de l’art de la guerre prépare le Prince à combattre l’adversité et les revers de fortune. En temps de paix, Machiavel recommande ainsi la pratique de la chasse, qui « aguerrit le corps », « endurcit à la peine » et enseigne la géographie (Le Prince, chap. XIV). Il conseille également au Prince d’étudier les exploits militaires des « grands capitaines » comme César, Alexandre ou Scipion. Dans l’histoire, les généraux de talent sont souvent des politiques avisés. Toutefois, la force militaire en tant que telle ne permet pas de voir si le stratège est intelligent. La ruse, en revanche, est un bon signe. Car pour qu’une ruse réussisse, le stratège doit faire travailler sa tête davantage que ses muscles. Loin d’être déshonorante, la ruse est le plus court chemin vers la victoire et vers la gloire. Pour autant, elle ne doit pas être confondue avec l’intelligence du stratège, qu’on peut définir comme la faculté de choisir entre la ruse et la force, selon les situations.

À la guerre comme en politique, la ruse, comme la cruauté, doit donc être employée avec parcimonie, car de tels moyens peuvent toujours se retourner contre ceux qui les emploient. Il n’y a donc pas chez Machiavel de confusion entre guerre et politique. Le prince doit être prêt à faire la guerre, mais il ne doit pas en être avide car il court alors le risque de tout perdre.


Matthieu Gellard (Paris IV): "De l'incident comme instrument diplomatique"

Au moment de la première guerre de Religion, les relations franco-anglaises, déjà difficiles, se dégradent très fortement. A l'automne 1562, l'Angleterre, sous couvert d'aider les huguenots, envoie plusieurs milliers d'hommes sur le continent et occupe deux ports normands. Toutefois, les clauses du traité du Cateau-Cambrésis concernant Calais obligeant les deux protagonistes à la plus grande prudence, la guerre n’est pas déclarée et les relations diplomatiques sont maintenues. Un étrange équilibre s’établit, aucun des deux acteurs n’ayant, pendant un temps, intérêt à en venir au conflit armé. La reconstitution et l’analyse de l’activité des deux résidents anglais en France, Sir Nicholas Throckmorton et son successeur Sir Thomas Smith, et des péripéties vécues par eux, constituent un angle d’approche intéressant pour mieux comprendre les enjeux de l’affrontement entre les deux couronnes. Relativement méconnu, le détail de ces deux ambassades fait en particulier apparaître de nombreux incidents diplomatiques. Et justement, parce qu’il n’est pas accidentel, mais au contraire le fruit d’une volonté politique, l’incident diplomatique est un révélateur du rapport de force international. D’un accroc, sensément fortuit, dans le bon déroulement de la vie diplomatique, les choix politiques font ou ne font pas un « incident » ; les ambassadeurs ou les gouvernements choisissent en effet d’instrumentaliser l’événement initial ou tentent au contraire d’en atténuer autant que possible les conséquences, en fonction de leurs intérêts intérieurs et extérieurs. L’enjeu commun des incidents présentés ici se situe au niveau de la responsabilité de l’affrontement militaire que chacun des acteurs tente de faire endosser à l’autre, cette responsabilité signifiant une perte de droit de Calais."

Le fantasme d'une langue universelle




vendredi 27 novembre 2009, 11-13h, Pôle Cathédrale, s. 119


Laurence Kucera (Université de Montpellier III): "Le français, langue universelle, mythe ou réalité?"


Au fil des siècles, la langue française a su affirmer son autorité, prouver son génie et bâtir son empire. Elle s’est affranchie du latin pour s’élever au rang de langue nationale. Elle a conquis son urbanité puis son universalité. Langue d’exception, elle est progressivement devenue une langue d’élection. Langue élue pour son prestige, elle est, encore aujourd’hui, choisie dans de nombreux écrits.

C’est au XVIIIe siècle que le rayonnement de la langue française est le plus vif. La France et sa langue agissent comme de puissants pôles d’attraction autour desquels vont graviter comme autant de satellites, la plupart des cours européennes. Considéré comme la langue des Lumières, la langue des esprits éclairés, le français est parlé partout en Europe. Partout, on reconnaît son universalité ; partout, on disserte sur son « exceptionnalité » ; partout, on fait le choix du français. Son pouvoir de séduction est si vif, que de cette fascination, naît un véritable engouement pour tout ce qui est français. Une véritable gallomanie saisit l’Europe tout entière et cette francophilie se retrouve à l’écrit. Des Correspondances aux Mémoires, jusqu’aux œuvres de fiction, nombreux sont ceux qui, au siècle des Lumières, l’ont choisie comme langue d’écriture. La plupart des souverains, de Frédéric II de Prusse à Catherine II de Russie, du Prince de Ligne à Stanislas Auguste II Poniatowski, ou encore certains auteurs, comme Giacomo Casanova, Carlo Goldoni ou encore William Beckford ou Jean Potocki, l’ont adopté à l’écrit.

Aujourd’hui encore, la langue française ne cesse de séduire. Même si le nombre de locuteurs francophones a diminué au profit de l’anglais, de nombreux écrivains étrangers continuent de choisir le français.

Quelles sont les raisons d'un tel attrait? Quels sont les arguments de séduction du français? Sur quels motifs a-t-il conquis son universalité?

Le XVIIIe siècle a-t-il nourri le mythe d’une langue parfaitement idéalisée ?

Pour comprendre les raisons de cette élection, nous suivrons le fil de l’Histoire. Nous verrons sur quels arguments repose l’idée d’universalité et si ces arguments sont communément partagés. Du mythe de l’universel à celui de Babel, nous envisagerons la question du déclin du français et verrons sous quelles formes persiste encore l’idée d’universalité. Si la France a perdu de sa prééminence, si la francophonie est aujourd’hui une notion contestée, le français continue d’être adopté. Peut-on parler d’un nouvel universalisme ?


Fabien Simon (Université de Rennes II): "The Iliad's in a Nut Shell: les projets de langues universelles au XVIe- XVIIe siècle, des langues pour "réduire" le monde?"


A l'intérieur de ce que l'on a pu définir comme une "priovince" de la République des Lettres, se joue pourtant rien moins, aux XVIe et XVIIe siècles, que le choix, non pas de la langue du bon usage (celle des grammairiens) mais de la langue de la science et de la vérité, de la langue de la République des Lettres elle-même. Des langage planners cherchent alors à élaborer une langue universelle, qui a pu prendre différentes formes: langage mathématique avec Cave Beck, langage musical chez Mersenne, "caractères réels" inspirés des idéogrammes chinois avec John Wilkins... Il s'agit de trouver un idiome pour rendre les mots plus transparents -correspondant directement à la chose exprimée -, de faciliter en somme la communication grâce à une nouvelle lingua franca.

Or toute création linguistique est aussi une organisation ou réorganisation du monde à l’intérieur d’un système. Avec les Ecritures comme référence perpétuelle – l’épisode de Babel servant évidemment de point de mire (Genèse 11, 1-9) – si au « Au commencement était le Verbe », alors toute création linguistique est aussi une « Genèse ». Un système-monde linguistique, reposant sur un ordre. Il s’agit alors de voir où réside l’illusion dans ce système. Souvent, la recherche des « notions universelles », à la base de la construction, passe par l’élaboration de tables ou de listes, dont le prototype pourrait être offert, selon les auteurs de l’époque, par la combinatoire de Raimond Lulle (XIIIe), liée elle-même, pour partie, aux arborescences des ars memoriae, et plus généralement, par ailleurs, à la démarche aristotélicienne de description de la nature. Comment Athanase Kircher choisit-il les 1200 mots des tableaux de référence de sa polygraphie ? Quelle principe de classification préside à la structure des nombreuses tables du « Real Character » de John Wilkins ?… Il s’agira d’étudier les biais guidant cette classification et notamment le poids des déterminismes sociaux : un regard européocentré porté sur des langues qui se veulent pourtant « universelles » ; le poids de réseaux très restreints, où la cryptographie a toute sa place, sur la volonté véritable de communiquer largement, de divulguer… Le rêve d’une langue universelle n’est-il pas en lui-même une « illusion taxinomique » ?


Femmes, joueurs de couleur: quel regard sur les minorités dans le football?


jeudi 15 octobre 2009, 15-17h, Pôle Cathédrale, s. 313


Xavier Breuil (CEVIPOL-Bruxelles): "Le football féminin, objet de l'histoire sociale et politique"

Sport le plus populaire de la planète, le football n’est pas un simple loisir permettant de se divertir ou de se dégourdir. Historiens et politologues ont notamment rappelé les interactions multiformes entre ballon rond et politique : ce sport représente un puissant vecteur d’intégration à la vie publique nationale et les joueurs sont, à l’instar des hommes politiques, considérés comme les représentants du village, de la ville, de la région ou/et de la nation.

Cette dimension politique ne doit évidemment pas être ignorée dès lors que l’on s’intéresse au rapport des sexes dans le football et au développement de la pratique féminine entre 1916 et 1940. En effet, dès la première guerre mondiale, nombre de sportives s’adonnent aux joies du ballon du rond, notamment au sein des entreprises de munitionnettes ou, comme c’est le cas en France et en Belgique, au sein des banques et des grands magasins. En nous appuyant sur les travaux pionniers consacrés à l’histoire du football féminin, qui ont insisté pour leur part sur ses aspects sociaux et culturels, notre présentation aura pour seul objectif de démontrer que son évolution a bien plus reflété, d’une part, la tentative des femmes d’intégrer la vie politique et, d’autre part, leur introduction dans le jeu des relations internationales au cours de l’entre-deux-guerres.

Pour mener à bien cette recherche, nous avons consulté différentes sources : archives du ministère des affaires étrangères français conservées à Nantes ; archives de différents musées (Musée du sport de Paris, Imperial War Museum de Londres) ; presse sportive et d’information (Allemagne, Angleterre, Belgique, France, Irlande, Suisse).


Frédéric Rasera (Lyon 2) : "Articuler les rapports sociaux dans l'enquête ethnographique. La fabrique de l'altérité raciale dans le quotidien de travail de footballeurs professionnels"

« Il y a neuf Blacks sur onze. La normalité serait qu'il y en ait trois ou quatre. Ce serait le reflet de la société. Mais là, s'il y en a autant, c'est parce que les Blancs sont nuls »[1]. Ces propos de Georges Frêche, commentant la composition d’une équipe de France de football trop colorée à son goût, illustrent plus généralement les catégories de perception communes qui interrogent la présence de joueurs de couleur noire au sein de l’élite du football français. C’est prioritairement la problématique de l’identification qui est sollicitée, accompagnée de l’imaginaire raciste qui tend à naturaliser les performances de ces sportifs. Historiens et sociologues ne cessent de rappeler la construction sociale de ces schèmes d’intelligibilité et invitent à mobiliser l’histoire de l’immigration et les modes de structuration de notre société afin d’interpréter la présence de joueurs noirs au sein du football professionnel français[2].

Voici le cadre usuel au sein duquel la présence de joueurs de couleur noire dans l’élite du football français est posée. Il laisse de côté deux problématiques majeures. Un déplacement du regard inviterait en effet à interroger la pertinence de la variable raciale / ethnique pour analyser le travail quotidien des footballeurs professionnels[3], ainsi qu’à étudier de quelle manière elle peut être est mobilisée ou non par les joueurs visés dans une optique de reconnaissance[4]. C’est sur le premier ordre de questionnement que porte cette communication. L’enquête ethnographique réalisée au sein d’un groupe de footballeurs professionnels évoluant dans un club de Ligue 2 française nous a permis de saisir de quelle manière le référentiel racial s’inscrit dans le quotidien de ces travailleurs sportifs. Plus particulièrement nous nous attacherons à mettre en évidence de quelle manière se fabrique l’altérité raciale et comment elle se conçoit en lien avec d’autres rapports de pouvoir, de classe et d’âge notamment.



[1] Propos rapportés par le journal le Monde du 18 novembre 2006, « A Montpellier, nouveau dérapage raciste de Georges Frêche »

[2] Voir par exemple P. Ndiaye, La condition noire. Essai sur une minorité française, Paris, Calmann-Lévy, 2008.

[3] Pour un exemple récent de recherche qui met en évidence des processus d’ethnicisation en milieu de travail, voir N. Jounin, Chantier interdit au public. Enquête parmi les travailleurs du bâtiment, Paris, la découverte, 2008.

[4] Une telle problématique conduirait notamment à interroger les possibles mobilisations politiques des footballeurs de couleur noire. A l’instar des mouvements féministes étudiés par Joan W. Scott, elle placerait au centre de l’analyse le paradoxe de telles mobilisations de groupes dominés qui conduit dans un même mouvement à la nécessité d’affirmer et de refuser la différence. Voir J W. Scott, La citoyenne paradoxale. Les féministes françaises et les droits de l’homme, Paris, Albin Michel, 1998.

Bienvenue sur le blog du SJC !

Le Séminaire des Jeunes Chercheurs (SJC) en sciences humaines et sociales s’adresse aux doctorants ou étudiants de Master qui se destinent à la recherche. Plus généralement, il accueille tous ceux qui sont désireux de se tenir au courant de l’actualité scientifique de l'UPJV. Il est comptabilisé au titre des modules de formation du doctorat.

Sa spécificité ? Être organisé par les doctorants pour les doctorants.
Son objectif ? Faire se rencontrer, sur un mode stimulant d'échange et de confrontation, les acteurs de la jeune recherche picarde.

Chaque séance, mensuelle, est consacrée à un thème propre à réunir des doctorants travaillant dans des disciplines différentes. Au cours de chaque séance, 2 voire 3 jeunes chercheurs, d'Amiens ou d'ailleurs, présentent leurs travaux (un résumé ou une partie de leur thèse, un article en préparation etc.) en suivant les règles de la communication universitaire. Les présentations sont suivies de questions, susceptibles de déboucher sur des suggestions méthodologiques, bibliographiques...

Bref, le SJC est Le rendez-vous incontournable des doctorants amiénois.

Nous vous attendons très nombreux !

Les guerres : témoignages et médiatisations vendredi 19 juin

Roy Jreijiry (Paris XIII): "la guerre du Liban dans la presse quotidienne française (1988-1991)"

 

Au printemps 1988, la guerre libanaise entre dans sa quatorzième année. Le pays est divisé de facto. La campagne électorale qui doit se dérouler en été domine l’agenda politique de ce printemps libanais et paraît, pour nombre d’observateurs et pour la population, prometteuse d’un certain changement. Les deux « grands électeurs » de cette présidentielle – la Syrie et les Etats-Unis – parviennent, quelques jours avant l’expiration du mandat du président de la République Amine Gemayel, à se mettre d’accord sur le nom d’un candidat. Celui-ci ne satisfait pas les forces politiques du « camp chrétien » qui, et en guise de protestation, boycotte l’élection. A deux reprises, le quorum à l’Assemblée générale n’est pas atteint. Le 22 septembre 1988, Gemayel remet ses pouvoirs au commandant de l’armée Michel Aoun, en le nommant Premier ministre. Le camp de Beyrouth-Ouest soutenu par la Syrie refuse de le reconnaître qualifiant la démarche d’anticonstitutionnelle. Sous la pression, les trois ministres musulmans nommés alors démissionnent.

Parallèlement, le gouvernement démissionnaire installé à Beyrouth-Ouest, présidé par Selim Hoss, refuse de céder le pouvoir. Deux gouvernements s’installent donc en concurrence l’un de l’autre. C’est ainsi que commence le dernier « round » de la guerre libanaise. Riche en rebondissements, il accapare les « Une » des journaux français et internationaux, et influence radicalement le statut politique du « pays des cèdres ».

 

Les trois grands conflits armés de cette période :

 

- La « guerre de libération » (mars – septembre 1989) : il s’agit d’affrontements entre l’armée syrienne stationnée au Liban et ses alliés libanais d’un côté, et les troupes de l’armée libanaise commandée par Michel Aoun soutenue par la milice des Forces libanaises d’un autre côté.

 

- Les affrontements « inter chrétiens » : entre les brigades de l’armée libanaise commandées par Michel Aoun et la milice chrétienne des Forces libanaises commandée par Samir Geagea (février – août 1990)

 

- L’opération militaire du 13 octobre 1990 : menée par l’armée syrienne et les troupes de l’armée libanaise fidèle au nouveau pouvoir – issu des accords de Taëf et reconnu par la communauté internationale – contre le fief de Michel Aoun.

 

Si la presse applique la loi de proximité dans son traitement de l’information[1], la presse française montre beaucoup de « passion » dans sa couverture de cette période libanaise. Ce pays présente un centre d’intérêt tant sur le plan affectif que sur les plans politique et intellectuel. Dans son numéro daté du 1er décembre 1989, le quotidien Le Monde écrit sur la séance de débats au Parlement : « On attendait Dreux, Marseille, le voile et le FN, mais ce fut le Liban, le général Aoun, les Syriens et le « réduit chrétien » qui tirent l’essentiel de la séance des questions au gouvernement du mercredi 29 novembre [1989] ».

 

Historiquement, la France a joué un rôle primordial dans la formation du Liban, tel qu’il est aujourd’hui. Réciproquement, le Liban a constitué un pilier politique et culturel pour la politique de la France dans la région. Cette dernière se voulait en effet défenseur des chrétiens d’Orient. La presse n’est pas épargnée par cet héritage.

 

Le but de ma recherche est d’analyser, à travers trois quotidiens à audience nationale et représentatifs de la presse française (Le Monde, Le Figaro et Libération), comment la presse a rendu compte du Liban. Cela nous permettrait de définir les critères sur lesquels la presse française traite et interprète les informations qui concernent un pays étranger lié historiquement à la France, comment sa conception – du Liban en général, et de la guerre libanaise particulièrement – évolue et quels en sont les causes et les enjeux de cette évolution; quelles sont les grandes constantes et les grandes variables de ce traitement; quelles sont les tendances et les idéologies qui gouvernent les choix éditoriaux.

 

Pascaline Lefort (UPJV): "Le rôle de la nomination multiple dans les témoignages des camps"


« On peut toujours tout dire. L’ineffable dont on nous rebattra les oreilles n’est qu’alibi. Ou signe de paresse. On peut toujours tout dire, le langage contient tout » écrit Jorge Semprun dans l’écriture ou la vie (1994 : 23). En écrivant cette phrase, Semprun rejoint les théories de Searle et son « principe d’exprimabilité », selon lequel « tout ce que l’on peut vouloir signifier peut être dit » (1972 : 55). Il est vrai que la parole « contient tout », qu’elle est adressée à et naît de l’appel de l’autre. Elle est aussi ce lieu du dévoilement de soi, voire de cet indicible, aujourd’hui notion complexe qu’Adorno associe à la Shoah. Comment le langage parvient-il à dire cette expérience traumatisante et destructrice ? Comment dire ce qui, a priori, est indicible ? Quels sont les procès discursifs caractéristiques de ce type d’écriture ?

Des recherches sur les différents modes de transmission de ce vécu ont montré que la nomination multiple était un procédé discursif récurrent au sein des témoignages étudiés. Ce foisonnement de gloses et d’autoreformulations contribue à construire une écriture de l’indicible, une écriture de la mémoire.

Cette communication, qui s’inscrit dans le cadre de l’analyse du discours et de la pragmatique, s’interrogera sur la présence et le rôle de ce métalangage. Nous verrons notamment que les nominations multiples ou la « non-coïncidence » dans le dire pour reprendre Authier-Revuz  (1995) reflètent la difficulté des anciens déportés à dire le vécu concentrationnaire, qu’elles sont le signe d’une non-coïncidence entre le sujet, la langue et le réel. Ainsi, Robert Antelme, déporté de Buchenwald, déclare dans l’avant-propos de L’Espèce humaine :

Il y a deux ans, durant les premiers jours qui ont suivi notre retour, nous avons été, tous je pense, en proie à un véritable délire. Nous voulions parler, être entendus enfin. On nous dit que notre apparence physique était assez éloquente à elle seule. Mais nous revenions juste, nous ramenions avec nous notre mémoire, notre expérience toute vivante et nous éprouvions un désir frénétique de la dire telle qu’elle. Et dès les premiers jours cependant, il nous paraissait impossible de combler la distance que nous découvrions entre le langage dont nous disposions et cette expérience que, pour la plupart, nous étions encore en train de poursuivre dans notre corps. (1957 : 9)

A travers différents exemples, nous tenterons de montrer que la nomination multiple est une des conséquences de la difficulté à dire l’expérience concentrationnaire et qu’elle permet à l’ancien déporté d’appréhender le réel, son vécu de la manière la plus juste possible ou du moins qui lui paraît être la plus juste possible ; la nomination multiple étant un moyen d’accéder au mot juste. Nous tenterons également de montrer que la glose, en permettant le déploiement des mots, de la douleur permet peut-être à l’ancien déporté de se libérer de cette souffrance. Primo Levi ne dit-il pas dès la préface de Si c’est un homme que l’écriture était avant tout en vue d’une « libération intérieure » ? (1987 : 8).


[1] Consiste pour un média à s’intéresser à ce qui est proche du lecteur au plan géographique, affectif et intellectuel.

Politiques de l'éducation, mardi 26 mai

Pierre Clément (UPJV) : "Politiques des contenus d'enseignement, 1980 - 2000"

Ma thèse porte sur la production des politiques scolaires entre le début des années 1980 et la fin des années 2000. Plus précisément mon travail porte sur un objet que l’on a choisi d’appeler « politique des contenus d’enseignement » défini temporairement comme l’ensemble des réponses (bureaucratiques, juridiques, pédagogiques, syndicales, patronales etc.) qui ont pu être apportées aux questions suivantes : qu’enseigne-t-on ? à qui ? pourquoi ?.

La réalisation d’entretiens (avec des syndicalistes, des enseignants-chercheurs, des haut-fonctionnaires, des membres d’organisations internationales, des hommes politiques etc.) visant à reconstituer des prises de positions, des stratégies et des trajectoires sociales, ainsi que le dépouillement d’archives publiques et privées (pour l’heure celles de la commission Thélot, du Conseil national des programmes, du Syndicat national des instituteurs et PEGC) constituent le gros du travail d’enquête et des matériaux recueillis. A cela s’ajoute la lecture et l’analyse d’une abondante littérature grise (rapports officiels) et de la presse spécialisée (Monde de l’éducation et bulletins syndicaux notamment) et enfin quelques observations notamment des situations d’entretiens. Il est enfin prévu la constitution d’une base de données prosopographique.

Ma communication vise à réfléchir sur ce qu'est, au fond, l'objet de ce que l’on appelle la sociologie du curriculum. J'essaierai de voir à quelles conditions on peut faire de la sociologie des savoirs scolaires sans tomber dans le domaine des sciences de l'éducation ou de la pédagogie – ce qui est le cas de beaucoup de chercheurs qui travaillent sur ce sujet (tout du moins en France mais aussi dans les pays francophones) – et sans se préoccuper uniquement d'éducation.
Pour cela, je consacrerai une partie de mon propos à une relecture du livre d’Emile Durkheim L'évolution pédagogique en France afin de dégager ce qui caractérise sa manière d'envisager les systèmes d'enseignement. Puis, je me demanderai à quelles conditions on peut en faire un programme de recherche, construire des objets sociologiques et trouver des terrains d’enquête. Bref, il s’agira de réfléchir, en partant d’une analyse de ses potentialités et de ses limites, à la manière dont il est possible d’"opérationnaliser" le cadre d'analyse durkheimien dans ma propre recherche.



Célia Keren (EHESS) : "L’accueil en France des enfants évacués de la Guerre d’Espagne :politique humanitaire, enjeux pédagogiques et expériences enfantines"

Au cours de la guerre d’Espagne (1936-1939), des milliers d’enfants espagnols sont évacués depuis la zone républicaine vers des pays amis, notamment la France. Plus de 10 000 d’entre eux, filles et garçons de 4 à 17 ans, résident ainsi sans leurs parents, le temps de quelques mois ou de plusieurs années, dans des colonies d’enfants espagnols, dans des orphelinats ou dans des familles françaises. L’organisation d’un tel accueil a mobilisé de nombreux acteurs, publics et surtout privés – partis politiques, syndicats, organisations humanitaires, mais encore églises et groupes catholiques, qui collaborent et/ou rivalisent pour la tutelle de ces enfants isolés.

Cet épisode, en lui-même assez circonscrit, se situe à la confluence de plusieurs champs historiques et historiographiques (français, espagnols et européens), dont le croisement introduit à la fois intelligibilité et complexité. Comment articuler le souci humanitaire de protéger l’enfance en temps de guerre – dont il convient de retracer l’émergence historiquement datée – et les mobilisations populaires suscitées par la guerre d’Espagne en France ? Quels sont les enjeux politiques des modalités pratiques et pédagogiques de l’accueil (hébergement familial ou collectif, éducation française ou espagnole - ou basque, autant de choix qui sont loin d’être « neutres ») ? Enfin, comment écrire une histoire de l’enfance qui ne soit pas seulement une histoire des pratiques et des représentations adultes autour de l’enfance, mais qui prennent en compte les expériences et le pouvoir d’agir enfantins ?